Déprogrammer le projet
Des auteurs comme Benjamin, Arendt, Rousseau ou Bonnefoy, aussi lointains qu’il puissent paraître, interrogent directement le design. La lecture de textes a priori détachés des enjeux immédiats du design nous permet de « désarticuler » (Paul de Man) ce qui semble aller de soi, à savoir une compréhension du design centrée sur la projection de besoins à résoudre. En tant que discipline au cœur de la formalisation des environnements et des objets, le design interroge l’originaire dimension technique de l’existence humaine. Un tel design voit dans l’homme un être qui est toujours en mesure de modifier son environnement par la technique. Plutôt que de créer des objets qui s’oublient dans leur commodité (comme lorsqu’on se réjouit d’objets technologiques qui se font « oublier » dans leurs usages), nous soutenons un type de fabrication qui ne serait pas entièrement recouvert par l’acte de création. La notion de traduction permet de penser un design des programmes qui ne programmerait pas l’existence humaine. L’identique se programme, l’existant s’individualise. Prendre en compte l’inscription historique de spécificités techniques et formelles révèle dans le projet ce qui semblait aller de soi. Le caractère désarticulé de l’original que dévoile l’acte de traduction interroge, au-delà du langage, la notion même de projet. Si l’on comprend ce terme comme « idée qu’on met en avant », « plan proposé pour réaliser cette idée », on comprendra que le design se situe aussi dans un rapport à ce qui vient avant. Cette pensée du devenir des formes et des techniques dans des époques nécessite de faire retour sur les notions de conception et de projet. Afin de penser des façons de faire qui ne seraient fermées ni d’avance ni après-coup, il nous faut envisager que le designer puisse se faire traducteur de la technique.