Réglez votre lecture
-Aa
+Aa
Taille du texte : 16px
><
<>
Largeur de la colonne : 600px

Appareiller

Notre lecture de l’origine du concept de dispositif chez Michel Foucault et Giorgio Agamben nous a conduit à interroger la faculté d’un système technique à se constituer en entité de contrôle839. On retrouve chez Foucault des idées intéressantes pour définir une certaine façon de faire du numérique, qui se base sur une programmation continue des processus d’activités humaines.

[Le dispositif] s’exerce selon une codification qui quadrille au plus près le temps, l’espace, les mouvements. […] Se forme alors une politique des coercitions qui sont un travail sur le corps, une manipulation calculée de ses éléments, de ses gestes, de ses comportements. Le corps humain entre dans une machinerie de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose840.

On comprendra ici que des programmes visant à guider le regard ou la main en vertu d’une efficacité de rendement n’envisagent l’existence humaine que dans sa faculté à se soumettre à une mécanique implacable. Afin d’étudier d’autres façons de faire, nous avons séparé les concepts de «dispositif» et «d’appareil» afin de délimiter des types d’objets techniques ayant la faculté d’être exercés, et non pas seulement employés841. Éprouver l’authenticité des programmes numériques consiste donc à les faire paraître comme des entités susceptibles de faire l’objet d’exercices. Une telle idée ne va pas de soi, habitués que nous sommes à envisager les programmes comme des «assistants», propres à anticiper nos besoins et à répondre à nos problèmes842.

De là, nous avons proposé une extension du concept d’appareil à des objets qui ne sont pas immédiatement de l’ordre d’un enregistrement mécanique. Nous comprenons ainsi le verbe «appareiller» comme ce qui permet d’étendre le fonctionnement et la compréhension d’un objet technique. L’appareillage permet de développer le projet dans des directions qui n’avaient pas été anticipées dans la phase de conception. Ce concept se situe au croisement de deux intentions apparemment opposées: une reprise en main de paramètres échappant au contrôle de l’utilisateur (notion de réglage), et une acceptation de la «marge d’indétermination843» de la machine (dont les modes de temporalité ne peuvent être totalement maîtrisés). Sur ce deuxième point, les textes de Gilbert Simondon montrent que ce qui importe dans un objet technique n’est pas son utilité, mais la compréhension de son fonctionnement. L’attention n’est pas dans la qualité de l’objet fini, mais dans sa capacité à engendrer d’autres productions. Le design des programmes peut donc être — c’est là ce que nous soutenons — envisagé dans une optique ne visant pas immédiatement une efficacité et une rentabilité. Dans le dernier élément «prospectif» de cette thèse844, nous avons étudié plusieurs pistes de travail allant dans ce sens:

– permettre au sein d’un programme numérique que soient greffées des parties tierces;
– faire paraître les langages formels au sein des programmes;
– manifester des opérations techniques qui se font habituellement à couvert.

  1. 839

    Cf. élément «Des dispositifs aux appareils». 

  2. 840

    M. Foucault, Surveiller et Punir [1975], Paris, Gallimard, 2004, p. 139. 

  3. 841

    Cf. élément «Des dispositifs aux appareils». 

  4. 842

    Infra., élément «Idéologies de la «création» numérique». 

  5. 843

    G. Simondon, Du mode d’existence des objets technique, [1958], Paris, Aubier, 2012, p. 11: «Le véritable perfectionnement des machines […] correspond non pas à un accroissement de l’automatisme, mais au contraire au fait que le fonctionnement d’une machine recèle une certaine marge d’indétermination. […] La machine qui est douée d’un haut niveau de technicité est une machine ouverte […].» 

  6. 844

    Cf. élément «Prospection dans le champ du design».