Figures de l'élément « Conception et projet »
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« Voyez la Cène de Léonard. L’instrument perspectif permet à merveille de décomposer l’instant, de retrouver le geste de chaque apôtre, qui autrement se fût perdu dans je ne sais quelle nuit. […] En vérité, la perspective nous rejette deux fois à l’extérieur. L’âme de l’instant nous échappe, parce que la nouvelle géométrie ne sait voir que les objets, les formes, les apparences qui ont encombré l’instant. Et le sens des gestes ébauchés, des événements, nous échappe, parce que leur passé nous manque et aussi leur avenir, je veux dire l’élan qui porte de l’un à l’autre dans la continuité de toute durée vécue. Il s’ensuit qu’en dépit des explications qu’ils accumulent, se dégage de tels tableaux une impression d’absence, d’étrangeté. C’est l’énigme des perspectives, toujours si vivement ressentie. L’existence y devient – comme l’acte de la présence dans la ‹ perspective › du concept – une réalité impensable que beaucoup de peintres méconnaîtront. »
[ Source ] Y. Bonnefoy, « Le Temps et l’Intemporel dans la peinture du Quattrocento » [1959], dans : L’improbable [1980], Paris, Mercure de France, 1992, p. 73-74.
- Fig. 226
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« Je voudrais évoquer un des plus prodigieux tableaux qui soient au monde, la Résurrection, à Borgo San Sepolcro, dans le Palais Communal. La lumière est de petit jour. Les soldats qui dorment symbolisent l’intemporel – le premier degré de l’intemporel – qu’il faut que l’esprit rejoigne, mais pour seulement le traverser. Car, au-delà de lui, il y a ce dieu qui s’éveille. Quel est-il donc ? Certes pas le Sauveur dont la philosophie de Piero ne comprend qu’à peine le rôle, ce sauveur qui a souffert dans le temps. Mais, à la fois matière et logos, l’homme même, tel que Piero l’a rêvé. D’une liberté immobile. Totale, mais immobile, comme celle de l’arbre, ce modèle de la colonne, l’arbre qui meurt sans savoir la mort. Il y a des yeux grands ouverts au secret des yeux fermés. Il y a dans l’humanisme du Quattrocento un moment de quasi-victoire, quand le nombre a pu être pris pour une sorte de gnose. »
[ Source ] Y. Bonnefoy, « Le Temps et l’Intemporel dans la peinture du Quattrocento » [1959], dans : L’improbable [1980], Paris, Mercure de France, 1992, p. 82-83.
- Fig. 227
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« [Voici] une autre méthode en usage pour la pourtraiture. Elle permet de représenter chaque corps quelle que soit la taille voulue, plus grande ou plus petite. Il faut pour cela un cadre avec un maillage de fil noir et solide, chaque maille ou carreau ayant une largeur de deux doigts à peu près. […] Ensuite place le corps que tu veux représenter relativement loin. Dispose-le et plie-le à ta volonté. Recule et mets ton œil près du viseur […] et inspecte le corps pour savoir s’il te plaît et s’il a la pose voulue. Ensuite, pose la grille ou le cadre entre le corps et le viseur de la manière suivante. […] Ensuite, dessine une grande ou une petite grille sur une feuille de papier ou un tableau destinés à recevoir l’image. Et vise le corps par dessus ton œil […] en haut du viseur et reporte dans la grille sur le papier ce que tu trouves dans chaque carreau de la grille. C’est bien ainsi, et correct. »
[ Source ] A. Dürer, Géométrie [1525], trad. de l’allemand par J. Peiffer, Paris, Seuil, 1995, p. 359-360.
- Fig. 228
- Fig. 229